Alors que les cieux s’annoncent menaçant autour de lui, le garde des sceaux maintient le cap. Mais doit composer avec un dilemme : comment trouver le bon équilibre entre sang-froid et expression de sa personnalité ombrageuse alors que la tempête se rapproche.
Sa nomination avait suscité bien des débats alors que ses débuts à l’Assemblée Nationale furent chahutés. Son mandat s’inscrit pour le moment dans la lignée de ces singuliers et tumultueux débuts. Il l’avait d’ailleurs annoncé. Il exercera son mandat de la même manière qu’il exerçait sa profession d’avocat. En faisant parler. En laissant libre-court à sa personnalité volcanique, alternant tour à tour entre coups de gueule, franc-parler et provocations. Toujours dans le même objectif. Celui de faire bouger, de remuer la fourmilière et d’affirmer ses prises de positions contre vents et marées.
Mais le vent s’est levé. Avec une intensité telle que le grand public se demande aujourd’hui si le colosse ne va pas laisser apercevoir des pieds d’argiles. Car le contexte a changé. Si l’avocat fut réputé, admiré, critiqué parfois, il présentait surtout des résultats incontestables. Des résultats ayant placé sa personnalité sur un piédestal. Alors que le jeune ministre, lui, ne convainc pas. Ses prises de positions prêtent à l’interrogation, ses démonstrations n’impressionnent personne et ses erreurs se multiplient. Après des mois de tension, les magistrats ont même appelé Emmanuel Macron à intervenir afin de sauvegarder une “indépendance de l’autorité judiciaire” jugée menacée par le turbulant ministre…
Dès lors, la question de la personnalité envahissante de l’ancien avocat se pose avec insistance. Avec le spectre douloureux de l’erreur de casting en arrière-plan. Car loin d’avoir fait remuer les choses et entrapercevoir des réformes, le style agressif et direct du garde des sceaux risque au contraire de faire obstacle à la réussite de ses projets. Sa guerre ouverte contre les magistrats a enterré les espoirs d’un travail de concert avec les juges. Des magistrats qui, bien que souvent en désaccord avec Dupond-Moretti, auraient pu le rejoindre sur la nécessité de moderniser l’action judiciaire et la rendre plus accessible aux français.
Pire, sa légitimité en a encore pris un coup avec les soupçons de conflit d’intérêt vis à vis de l’enquête exercée sur le parquet national financier. Un dossier particulièrement sensible où l’ancien ministre a fait preuve de brutalité au lieu de pondération, selon les dires d’Eva Joly, ancienne juge d’instruction. Actuellement dans le creux de la vague, Eric Dupond-Moretti se sent scruté. Il sait que les prochaines semaines seront vraisemblablement décisives pour la suite de sa carrière politique. Mais le contexte ne joue pas en sa faveur. Déjà en proie à la crise sanitaire, à un contexte international tendu et à la difficile relance économique, le gouvernement ne tient pas à devoir gérer un nouveau champ de bataille.
Cependant, Eric Dupond-Moretti aime le combat et a pris l’habitude de ne rien lâcher. Il doit dorénavant évoluer pour atteindre ses objectifs en osmose vis à vis de son nouvel environnement. En somme, savoir faire preuve de diplomatie afin de servir un intérêt gouvernemental tourné vers l’échéance de 2022. Reste désormais à trouver le bon équilibre entre sa personnalité, ses convictions, ses projets de réforme et la nécessité de fédérer, d’impulser et d’apaiser. En somme, être un bon politique.