Pour le Conseil constitutionnel, les obligations pesant sur les réseaux sociaux de retirer en 24 heures les contenus illégaux n’étaient pas compatibles avec la liberté d’expression.
Le Conseil constitutionnel a censuré, jeudi 18 juin, la mesure phare de la controversée proposition de loi contre la haine en ligne, portée par la députée LREM de Paris Laetitia Avia et fortement soutenue par le gouvernement.
Pour le juge constitutionnel, l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer, dans les 24 heures, sous peine de sanctions pénales, les contenus « haineux » qui leur sont signalés n’est en effet pas compatible avec la liberté d’expression. Il donne ainsi raison aux opposants du texte, qui pointaient les risques de surcensure par les plateformes en ligne comme Facebook, Twitter, Snapchat ou Youtube.
La décision contre l’obligation de retrait en 24 heures est un revers pour les défenseurs de la loi. « C’est le cœur du texte », affirmait Mme Avia, pour justifier, en mai 2019, le maintien de cette disposition déjà controversée. Ce versant était proche de l’esprit de la loi allemande « Netzdg » concernant les réseaux sociaux, adoptée en janvier 2018 et elle aussi contestée.
Le Conseil constitutionnel pointe notamment le fait que les réseaux sociaux étaient selon la loi censés se prononcer sur la simple base d’un signalement d’un de leurs utilisateurs, sans l’intervention d’une autorité extérieure comme un juge. Par ailleurs, les Sages ont noté que le dispositif imaginé par la proposition de loi imposait à ces mêmes entreprises de prononcer une évaluation juridique précise de chacun des propos signalés, alors même que cette évaluation pouvait revêtir une « technicité juridique » ou dépendre du « contexte » dans lequel ils ont été postés. Le tout dans un « délai extrêmement bref ». Tout en les exposant à une sanction pénale dès la première erreur.
Bref, résume le Conseil constitutionnel, la loi incitait « les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ». Le texte portait donc « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
C’est même l’ensemble du volet répressif de la loi qui est censuré par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant également jugé incompatible avec la Constitution l’obligation faite à ces mêmes réseaux sociaux de supprimer en une heure tout contenu pédopornographique ou terroriste qui leur serait signalé par les autorités. Le Conseil constitutionnel souligne que cette catégorisation était « soumise à la seule appréciation de l’administration » et que le délai d’une heure empêchait matériellement toute intervention judiciaire. Là aussi, la liberté d’expression a été méconnue, selon le Conseil.
De la loi Avia, il ne restera donc principalement que le volet plus préventif. Celui-ci consiste à imposer aux plateformes de simples obligations de moyens : proposer un mécanisme de signalement des contenus, être transparent sur l’activité de modération, le nombre de contenus retirés, le délai, le motif, le taux d’erreur… Mais aussi mettre en place un mécanisme d’appel en cas de contestation et coopérer avec la justice. Autant de devoirs dont l’application est confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui a le pouvoir de demander aux réseaux sociaux des informations, des rapports et de sanctionner lourdement en cas de manquement.
Cette approche est souvent appelée « smart regulation » ou « régulation souple ». C’est l’esprit défendu par les grandes plateformes, mais aussi par le CSA ou par le rapport de Benoit Loutrel rendu après une mission inédite menée par des régulateurs français au sein des équipes de Facebook, dans la foulée de la rencontre en Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg, au printemps 2018.
Rendu public début 2019, le texte de Mme Avia, beaucoup plus strict, avait marqué une inflexion dans l’approche française. Il s’est ensuite rapidement attiré les critiques de nombreuses associations de défense des libertés, dont La Quadrature du Net, inquiète du risque de « surcensure » par les plateformes, soucieuses d’éviter des sanctions. Soit précisément l’argument retenu par le Conseil constitutionnel.