Un rapport publié en France le lundi 20 septembre par l’Institut d’études stratégiques de l’Irsem (École militaire) sur les opérations d’influence de la Chine devient un point de référence. Il compte 646 pages et révèle des faits qui, jusqu’à présent, n’avaient été qu’évoqués.
La Chine s’inspire des méthodes russes
« Fruit de deux années de travail, d’entretiens dans différents pays, d’analyse de sources en langue chinoise, de publications universitaires et de recherches en sources ouvertes (OSINT), ce rapport dresse un tableau relativement complet de l’influence chinoise dans le monde. Il montre que depuis environ 2017, le parti-État est entré dans un moment machiavélique au sens où il semble désormais croire qu’il est plus sûr de le craindre que de l’aimer, comme l’écrivait Machiavel dans « Le Prince » », expliquent les deux auteurs du rapport, Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, directeur de l’Irsem, et Paul Charon, directeur du renseignement, de la prospective et des menaces hybrides.
« Le principal symptôme de ce moment machiavélique est la russification de l’influence chinoise », affirment les chercheurs, soulignant que « Pékin a été influencé par Moscou dans plusieurs domaines, et bien sûr, il y a des différences entre les deux, mais aussi une certaine coopération. »
Le rapport révèle que la Chine cherche à « gagner sans combattre et à créer un environnement favorable à ses intérêts ».
De nombreux acteurs à l’œuvre
Les principaux acteurs menant des activités d’influence chinoise sont les départements du Parti communiste chinois (le département de la propagande, le Bureau 610, qui dispose d’agents dans le monde entier, la Ligue de la jeunesse), l’État, les militaires (notamment les cyber-soldats de la base 311), mais aussi les entreprises publiques et privées. Ces derniers mois, Xi Jinping a pris le contrôle des géants chinois du numérique.
Cette vaste galaxie d’influence chinoise est capable de mener de nombreuses actions avec un double objectif : « séduire et subjuguer les publics étrangers en projetant une image positive de la Chine » et, surtout, « pénétrer et contraindre » par une diplomatie agressive et coercitive. Cela rappelle les ambassadeurs chinois en Occident, qui sont qualifiés de « loups guerriers ».
Une armée de trolls influençant l’opinion publique
Au-delà de la diplomatie, les opérations d’influence visent la diaspora chinoise, les médias, le monde des affaires et de la politique, et cherchent à infiltrer la société civile, l’éducation et notamment les universités, la culture et les think tanks : « Pékin tente de créer des antennes de think tanks chinois à l’étranger et d’utiliser des contacts locaux qui peuvent devenir des think tanks », comme le rapporte la Fondation Prospective et Innovation (FPI), dirigée par Jean-Pierre Raffarin.
Les actions chinoises mentionnées dans le rapport sont complexes et multiformes, notamment en termes de manipulation de données. Par exemple, Pékin « crée de fausses identités pour diffuser de la propagande partisane sur les médias sociaux, utilise de faux comptes de médias sociaux, des trolls et l’astrosurfing (pour simuler un mouvement populaire spontané) et emploie un grand nombre de commentateurs en ligne (mal nommés l’armée des 50 cents) qui sont payés pour orienter l’opinion publique », indique le rapport. « Depuis 2019, Twitter, Facebook et YouTube n’hésitent plus à admettre que les campagnes coordonnées proviennent de Chine. En conséquence, des dizaines de milliers de faux comptes ont été suspendus, certains dormant depuis longtemps, d’autres achetés ou volés pour amplifier la propagande chinoise et attaquer les États-Unis. »
La Nouvelle-Calédonie ciblée
Mais d’autres pays comme Taïwan, Singapour, la Suède, le Canada ou la France via la Nouvelle-Calédonie, où la Chine soutient le mouvement indépendantiste, sont également visés. L’influence a atteint son apogée pendant la crise de Covid-19. Pour faire croire que le virus venait des États-Unis et non de la Chine, Pékin a lancé une opération de grande envergure appelée « Infektion 2.0 », qui consistait à inonder Internet de contre-rapports et de fausses nouvelles……..
Toutefois, cette énorme machine à manipuler pourrait ne pas être très efficace à long terme. « Même si [cette position] produit un certain succès tactique, c’est un échec stratégique car la Chine est leur meilleur ennemi en termes d’influence », concluent les chercheurs.