Les chercheurs Sébastien Abis et Pierre Blanc viennent de publier un ouvrage relatif à la géopolitique de l’agriculture. Un enjeu majeur pour le 21ème Siècle cristallisant ambitions, influence et manœuvres économiques de la part des grandes puissances.
“Les agriculteurs sont les soldats pour la bataille de la sécurité alimentaire mondiale“. D’emblé, le ton est posé. L’agriculture revêt de tels enjeux que le vocabulaire entourant la notion peut parfaitement revêtir une connotation militaire. Car comme toutes les ressources, l’agriculture aiguise les appétits des grandes puissances et des marchés. Un phénomène ancien mais toujours d’actualité puisque comme les auteurs le rappelle, “l’homme a toujours eu besoin de se nourrir pour vivre, se développer, prospérer, se déplacer et réfléchir correctement. Donc, il y a une centralité stratégique de l’alimentation pour l’individu ou pour les communautés, les sociétés, les pays et la planète toute entière“.
Ainsi, la souveraineté alimentaire est au cœur des enjeux internationaux. Avec des épisodes de violence. “On peut citer les violences en Colombie, en Inde ou au Mali autour des questions foncières. Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien est en partie un conflit agraire et hydrique“. Des conflits qui pourraient croitre avec la hausse croissante de la population mondiale, la nécessaire transition écologique et le jeu d’influence des grandes puissances. Car l’arme alimentaire peut aussi bien revêtir un atout stratégique, à l’instar de la Russie ayant utilisé sa production céréalière pour peser davantage sur la scène internationale, qu’un enjeu de survie. La Chine compte ainsi sur les nouvelles routes de la soie pour internationaliser sa stratégie et sécuriser son approvisionnement. La diplomatie, l’économie et l’influence juridiques sont ainsi placées sous le sceau de cet objectif.
Mais le tableau est loin de se cantonner à des perspectives aussi sombres. La sécurité alimentaire est également une formidable opportunité de paix et de développement. “Partout sur la planète, l’agriculteur est le premier contributeur à la paix et à la stabilité […] quand la sécurité alimentaire est au rendez-vous, quand les agriculteurs sont en capacité de s’exprimer, de développer et d’apporter des solutions, la planète s’en porte mieux, les territoires et les consommateurs aussi“. Les agriculteurs se situent de ce fait au confluent d’un autre grand enjeu de ce siècle : les enjeux environnementaux et sociodémographiques.
Les auteurs incitent ainsi la France et l’Union Européenne a voir plus loin en matière agricole et a faire preuve d’ambition. Sébastien Abis révèle ainsi dans les Echos que “tout le défi pour l’Europe, et pour la France, consiste à poursuivre un demi-siècle de performances en essayant de faire mieux. Il faut optimiser les relations entre agriculture et environnement, favoriser les approches circulaires, ménager nos ressources naturelles. Rester dans la course signifie aussi réconcilier agriculture et société, rassurer les consommateurs, tout en exigeant plus de transparence dans le secteur. Enfin, il faut renforcer les coalitions entre acteurs : les pouvoirs publics, les entreprises, les universités ou les ONG“.
Sébastien Abis et Pierre Blanc : Géopolitique de l’agriculture, 40 fiches illustrées pour comprendre le monde. Editions Eyrolles.