La guerre en Afghanistan est terminée, mais pas les souffrances de la population. Les signaux alarmants continuent de s’accumuler. Un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, publié le 25 octobre, prévoit que la moitié de la population, soit environ 20 millions de personnes selon les estimations du FMI et de l’ONU, est menacée de famine.
Des décennies de combats et leurs millions de personnes déplacées, la pauvreté et les catastrophes climatiques à répétition ont produit ce qui est déjà l’une des pires crises du monde. L’implosion de l’économie, provoquée par la fin du financement de l’État par les États-Unis et le blocage par Washington et l’Europe des fonds de la Banque centrale afghane, la renforce. La saison hivernale, qui accentue l’isolement des zones rurales, ne peut que l’aggraver. Les témoignages s’accumulent de familles contraintes de vendre leurs biens, et même, dans les cas les plus désespérés, leurs enfants pour tenter de survivre.
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Le dilemme auquel sont confrontés les fournisseurs traditionnels de l’aide internationale, majoritairement occidentaux, est autant moral que politique. Il oppose ceux qui, comme la Chine ou la Russie, exigent la restitution des fonds de la Banque centrale afghane à ceux qui refusent. Il divise aussi les Européens, et son examen lors d’une session spéciale du G20 en Italie le 12 octobre n’a pas dépassé le stade des déclarations d’intention.
La population prise en otage
Les termes de ce dilemme sont simples. Faut-il aider et renforcer mécaniquement un pouvoir taliban qui n’a pas réussi jusqu’à présent à obtenir une reconnaissance internationale ? Ou refuser de le faire, afin de conserver les leviers susceptibles de contraindre les nouveaux maîtres de l’Afghanistan à faire des concessions sur le statut des femmes, l’inclusion des minorités ethniques, ou encore la lutte contre les petits groupes terroristes encore présents dans le pays. pays ?
L’analyse qui sous-tend cette deuxième option peut paraître implacable. Forts de leur statut de vainqueurs de la plus longue guerre jamais menée par les Etats-Unis, les Talibans se sont jusqu’ici abstenus de toute ouverture politique ou diplomatique aux yeux de la communauté internationale. Nul doute qu’ils sauront présenter l’arrivée d’une aide internationale significative comme la validation de leur stratégie.
Ce postulat soulève cependant deux sérieuses réserves. La construction d’un rapport de force fondé sur l’aide apparaît singulièrement théorique à l’égard d’ex-insurgés qui ont triomphé de l’armée la plus puissante du monde, soutenue par celles de ses alliés, au terme d’une guerre de vingt ans. . Ce choix place alors la population afghane à la merci d’un affrontement dont elle est l’otage, notamment les femmes, très exposées à l’insécurité alimentaire.
En septembre, le département du Trésor américain a accordé des licences permettant aux organisations non gouvernementales d’aider le peuple afghan sans encourir de poursuites liées aux sanctions en vigueur contre le nouveau pouvoir en place à Kaboul. Cet assouplissement, et l’annonce le 28 octobre d’une aide d’urgence de 144 millions de dollars (124 millions d’euros), de la part du grand perdant de la guerre afghane, est probablement le maximum qu’il puisse accepter, mais ce réalisme ouvre une voie, aussi étroite soit-elle. L’urgence appelle le pragmatisme, et la politisation de l’aide humanitaire doit être évitée.