Une nouvelle rumeur se répand sur Internet, qui mêle raccourcis peu convaincants, mais illustre aussi, en creux, le laxisme de certains moteurs de recherche.
D’un prix exorbitant aux fichiers d’enfants disparus
Tout commence vers le 9 juillet par la découverte d’armoires en vente sur Wayfair à des prix semblant délirants – des milliers de dollars pour des meubles ou accessoires de décoration d’une grande banalité.
Des apprentis enquêteurs, intrigués par ces prix, tapent les numéros de référence de ces produits sur le moteur de rechercheYandex– leader en Russie, 5e dans le monde –, dont la modération n’est pas réputée très pointilleuse. Ils associent cette recherche aux termes « src usa », suspectés depuis quelques semaines sur Reddit et YouTube d’être un code utilisé par des pédocriminels sur Internet. Or à cette requête, le moteur de recherche russe renvoie des photos de très jeunes filles, dont certaines dans des poses suggestives.
C’est, pour eux, l’indice que les clients de Wayfair n’achètent pas seulement une armoire, mais aussi des enfants. Une vaste « enquête » collaborative en ligne débute. D’autres internautes croisent ensuite les noms de ces meubles (Marion, Daniel, Cassandra…) avec les fichiers d’enfants disparus, or certains coïncident. Ainsi naît le « Wayfairgate », comme l’appellent ses adeptes.
« Aucun fondement à ces allégations »
Le « Wayfairgate » se répand comme une traînée de poudre sur Twitter, Reddit, et le jeune réseau social TikTok, où le mot-clé a été vu plus de 40 millions de fois. Il atteint dans la foulée les berges de l’Internet francophone, que ce soit sur le compte conspirationniste Radio-Québec ou le forum Jeuxvideo.com. L’ampleur prise par la rumeur contraint l’enseigne à contester publiquement :
« Il n’y a évidemment aucun fondement à ces allégations. Les produits en question sont des armoires de qualité industrielle dont le prix est justifié. Nous reconnaissons que les photos et descriptions offertes par le fournisseur n’expliquaient pas le haut niveau de prix de façon adéquate, et avons donc temporairement retiré ces produits du site (…). »
La nébuleuse complotiste QAnon à l’œuvre
Des explications qui n’ont guère convaincu QAnon, un réseau informel de centaines de milliers d’internautes persuadés qu’un employé anonyme de la Maison Blanche, surnommé « Q », et secrètement aidé par Donald Trump, lutte de l’intérieur contre un réseau pédosatanique impliquant le gratin d’Hollywood et le Parti démocrate. QAnon a joué un rôle moteur dans la diffusion du Wayfairgate.Lire aussi Qu’est-ce que « QAnon », le phénomène complotiste visible dans les meetings de Trump ?
« La QAnonsphère est une éponge à complotisme, détaille Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’Université de Paris, spécialisé dans les cultures numériques. Tout complot qui va dans le sens de leur base idéologique, qui est ultratraditionaliste, d’extrême droite, un peu suprémaciste sur les bords, ils l’adoptent. Ils en sont maintenant à parcourir le Web à la recherche d’incohérences, n’importe où, de séries de chiffres ou de lettres. »
Ils ont ainsi tissé des liens entre Wayfair et George Soros, milliardaire qui obsède QAnon. A partir d’un simple coussin à motifs, les noms de Bill Gates, Bill Clinton ou encore John Podesta, souvent cités dans la complosphère anglophone, ont également été rattachés à la rumeur. De même que celui de Tom Hanks, pour avoir posté, en 2016, la photo d’un gant tombé à côté des fameuses lettres « src usa », à même le goudron.