Les déclarations du Premier ministre canadien sur les limites de la liberté d’expression suscitent de vives critiques outre-Atlantique. Et témoignent de la profonde scission divisant le Canada et le Québec sur les questions culturelles.
Si la position française sur les caricatures et la liberté d’expression l’a coupé d’une partie du monde musulman, elle en a presque fait de même entre le Canada et le Québec. Au sein de deux territoires ne cessant de s’opposer sur les questions culturelles, la polémique autour de la liberté d’expression a ravivé de biens mauvais souvenirs. La célèbre journaliste et romancière Denise Bombardier, québecoise, l’a d’ailleurs réaffirmé dans les colonnes de l’Express.
“Dans nos pays démocratiques, deux visions irréconciliables s’affrontent. D’une part, la vision française s’inspirant des philosophes des Lumières et adoptant des valeurs universalistes. Dans cette optique partagée par une majorité de Québécois, il n’y a qu’une seule race, la race humaine. D’autre part, il y a la conception multiculturelle avec son trait dominant, le communautarisme. Chacun se définit selon la couleur de sa peau, sa race, son orientation sexuelle, sa religion et son appartenance culturelle. Le Canada est la forme la plus avancée de ce communautarisme actuel“.
Face à de tels divergences, l’affaire des caricatures ne pouvait provoquer que des étincelles. Tout est parti d’une réaction particulièrement timorée de Justin Trudeau suite à l’assassinat de Samuel Paty. Il fait ainsi parti des rares chefs d’États du monde Occidental a ne pas avoir appelé Emmanuel Macron. Le communiqué canadien témoignant de son soutien envers la France, lui, est paru… onze jours après l’assassinat en question. Un silence assourdissant qui avait valu un certain nombre de critiques au Premier ministre. Certains n’hésitant pas à parler de lâcheté.
Lors de l’attentat de Nice, il a en revanche fait preuve de célérité. “Nous condamnons absolument ces attentats terroristes haineux inacceptables. Il n’y a absolument rien qui justifie cette violence” a-il déclaré quelques heures après cet acte terrible. Mais les différents témoignages de sympathie exprimés par Justin Trudeau ont toujours été nuancés. En particulier autour de la question de la liberté d’expression. “Dans une société pluraliste, diverse et respectueuse comme la nôtre, nous devons être conscients de l’impact de nos mots et de nos gestes. Particulièrement envers ces communautés qui souffrent encore énormément de discriminations“.
Au sujet des manifestations, des menaces de violence et de l’appel au boycott contre la France, Justin Trudeau a une nouvelle fois fait preuve de timidité selon ses opposants. Il s’est contenté d’affirmer “vouloir parler aux leaders du monde pour comprendre leurs inquiétudes et leurs préoccupations“. Une position vivement critiquée par Denise Bombardier et certaines personnalités politiques québecoises.
La première affirme notamment que “Justin Trudeau se défile lorsqu’il s’agit de blâmer des actes terroristes posés au nom de l’Islam. Tous ceux qui affectionnent encore la France doivent la défendre et s’alarmer des attaques dont elle fait l’objet. Sur son territoire et ailleurs dans le monde. Par exemple, comment les Québécois peuvent-ils tolérer que le Premier ministre Justin Trudeau n’ait pas appelé personnellement le président Macron à l’instar d’autres chefs d’État ? Qu’aucun communiqué officiel à Ottawa n’ait été émis suivant la décapitation du professeur-martyr, Samuel Paty ? “.
C’est ensuite le Premier ministre québécois, François Legault, qui a critiqué la position de Justin Trudeau sur la liberté d’expression. “Je suis totalement en désaccord avec M. Trudeau. Il faut protéger la liberté d’expression. On ne peut pas accuser des personnes qui ont fait des caricatures. On ne peut pas justifier de cette façon-là la violence“. Un propos appuyé par le chef des indépendantistes québecois, Yves-François Blanchet. “La formation politique que je représente se dissocie sans équivoque du grave manque de courage exprimé par le Premier ministre canadien quant à l’étendue de la liberté d’expression“. L’opposition conservatrice à Justin Trudeau a quand à elle affirmée souhaiter défendre avec vigueur la liberté d’expression, sans y mettre de conditions.
Face au regain des tensions entre le Canada et le Québec, le ministre des affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a décidé de jouer la carte de l’apaisement. Il a ainsi affirmé que le Canada continuerait de défendre fermement la liberté d’expression dans le monde. Avant d’appeler les différentes autorités politiques à ne pas politiser la question… Une question peut-être fâcheuse pour l’avenir de la cohabitation entre les deux territoires.